Une lettre publiée dans le Financial Times signée par 19 économistes appelle la Banque Centrale Européenne à adopter une approche alternative de son « quantitative easing » (assouplissement quantitatif), en distribuant par exemple de l’argent directement aux citoyens de la zone euro.

Adaptation française d’un article publié sur basicincome.org par Arthur Mignon.

En réponse au projet de la Banque Centrale Européenne (BCE) d’injecter 60 milliards d’euros par mois dans le système financier au cours des prochains 18 mois, 19 économistes ont signé une lettre au Financial Times appelant la BCE à adopter une approche différente qu’ils considèrent être un moyen plus efficace de doper l’économie de l’eurozone.

« Nous avons des preuves qui suggèrent que le quantitative easing (QE) usuel est un outil sur lequel on ne peut compter pour relancer l’emploi ou le PIB. Les recherches menées par la Banque d’Angleterre montrent que le QE favorise davantage les classes aisées, car elles bénéficient d’une augmentation des prix des actifs financiers que provoque le QE » peut-on y lire. Les signataires proposent une alternative :

Plutôt qu’être injectée dans les marchés financiers, la nouvelle monnaie créée par les banques centrales de la zone euro pourrait être utilisée pour financer les dépenses gouvernementales (comme l’investissement dans les projets d’infrastructures dont nous avons le plus besoin) ; autrement, chaque citoyen de l’eurozone pourrait recevoir 175 euros par mois pendant 19 mois, qu’il pourrait utiliser pour rembourser une dette ou dépenser comme bon lui semblerait. En dopant directement la consommation et l’emploi, l’une ou l’autre de ces propositions serait bien plus efficace que le plan de la BCE en faveur d’un quantitative easing usuel.

L’idée que les banques centrales distribuent de l’argent aux citoyens a souvent été nommée « quantitative easing for the people », une expression mise au point par Steve Keen, économiste australien.

Le professeur Steve Keen a signé la lettre avec 18 autres économistes, parmi lesquels plusieurs défenseurs du revenu de base tels Guy Standing, David Graeber, Frances Coppola et Lord Robert Skidelsky. Le seul signataire français est Jean Gadrey, l’économiste d’ATTAC qui explique sur son blog :

L’essentiel est que cette proposition contournerait les banques privées en exigeant de la BCE qu’elle prête de l’argent directement aux Etats (ou à des banques publiques) et/ou aux citoyens, et pas aux banques privées, lesquelles utiliseront la plus grande partie de ces montagnes de liquidités pour spéculer et pour se refaire une santé sans le moindre souci de l’intérêt général ni de la transition écologique, vu qu’on ne leur demande rien en contrepartie. Qui plus est, la solution du versement de la même somme mensuelle à tous les citoyens serait fortement réductrice d’inégalités dans chaque pays et entre pays de la zone. Cette somme est modeste en apparence, mais elle représenterait en France 35% du RSA pour une personne seule et, en Grèce et dans d’autres pays en souffrance, un soutien énorme à la lutte contre la pauvreté. Et s’il est vrai qu’elle est transitoire (18 à 24 mois), elle aurait probablement un impact plus durable. Il serait bon qu’elle soit débattue en France.

Guy Standing a récemment écrit un article décrivant une proposition de financement par la BCE d’expérimentations du revenu de base en Europe :

« On pourrait octroyer un versement mensuel à chaque homme, femme et enfant dans, disons, quatre zones de l’UE, à titre expérimental, avec pour seule condition d’y demeurer pour continuer de la recevoir. Ces gens resteraient libres de leurs mouvements. En revanche, cela les aiderait à pouvoir rester. De tels versements pourraient être octroyés pour une période d’un ou deux ans. »

Unconditional Basic Income Europe, réseau européen pour le revenu de base affilié au BIEN (réseau mondial pour le revenu de base), a également manifesté son soutien à ce genre de propositions, expliquant qu’il s’agit d’une « voie directe et pragmatique vers un revenu de base pour tous dans la zone euro. »

Bien que le concept de quantitative easing for the people partage des traits commun avec le revenu de base dans la mesure où ils consistent tous deux à distribuer des transferts d’argent à tous les individus sans condition, il ne se conçoit pas normalement comme un projet pérenne, mais plutôt comme une mesure de court terme ayant pour but de stimuler la demande.

Voici la liste complète des signataires :

Victoria Chick, University College London
Frances Coppola, Associate Editor, Piera
Nigel Dodd, London School of Economics
Jean Gadrey, University of Lille
David Graeber, London School of Economics
Constantin Gurdgiev, Trinity College Dublin
Joseph Huber, Martin Luther University of Halle-Wittenberg
Steve Keen, Kingston University
Christian Marazzi, University of Applied Sciences and Arts of Southern Switzerland
Bill Mitchell, University of Newcastle
Ann Pettifor, Prime Economics
Helge Peukert, University of Erfurt
Lord Skidelsky, Emeritus Professor, Warwick University
Guy Standing, School of Oriental and African Studies, University of London
Kees Van Der Pijl, University of Sussex
Johann Walter, Westfälische Hochschule, Gelsenkirchen Bocholt Recklinghausen, University of Applied Sciences
John Weeks, School of Oriental and African Studies, University of London
Richard Werner, University of Southampton
Simon Wren-Lewis, University of Oxford


Crédit photo CC Alex Guibord