La COP 21 (Conférence des Nations unies sur le changement climatique) se déroulera à Paris du 29 novembre au 11 décembre 2015. Sous l’impulsion de deux de ses membres : Mickaël Laclé et Virginie Caura, le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) souhaite porter le revenu de base au cœur des discussions qui occuperont cette quinzaine. Cette dynamique interne a conduit le mouvement à rejoindre la Coalition Climat 21 dans le but de participer entre autres au Sommet citoyen pour le Climat qui aura lieu à Paris, ainsi qu’à Montreuil le week-end des 5 et 6 décembre 2015, parallèlement à la COP. Un revenu de base peut en effet être l’outil qui autorisera le développement d’innovations économiques, sociales et locales tout en conciliant prospérité, écologie et cohésion sociale.

La COP 21 semble être la dernière chance de parvenir à un accord permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) à un niveau compatible avec la limitation à +2°C de la hausse des températures mondiales, seuil au-delà duquel les modifications du climat deviennent extrêmement difficiles à prévoir. À l’échelle du monde, il faudrait, d’ici 2050, diviser par trois les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Quant à la France, elle s’est engagée à les diviser par quatre sur la même période. C’est un objectif très ambitieux, mais atteignable. 

Concrètement, comment tenir ces objectifs tout en maintenant la prospérité et la cohésion sociale ? La réponse peut sembler complexe et par conséquent, nous avons besoin d’agir simultanément sur toutes les composantes qui conditionnent ces émissions de GES, comme les modes de production qui créent les richesses, les réseaux de distribution qui les acheminent, les moyens d’échanges qui les valorisent ainsi que les revenus qui en découlent ou qui les précèdent.

Il nous faudra aussi interroger nos modes de consommation qui, en amont de ces composantes, conditionnent tous les marchés. Nous connaissons les politiques publiques généralement utilisées, tels les investissements « verts », les régulations et fiscalités écologiques, etc. Mais il convient aussi de développer des outils d’émancipation et de justice sociale concomitants sans lesquels la transition écologique1 ne pourra qu’être rejetée par une majorité de la population qui succombera trop facilement aux arguments de défense de l’emploi et du pouvoir d’achat développés par les entreprises les plus polluantes. 

La place du revenu de base dans la transition écologique

Nous pensons que la mise en œuvre de la transition écologique dépend tout autant des politiques économiques publiques, que d’initiatives individuelles et collectives de réappropriation de l’économie et des territoires. En effet, la transition écologique ne repose pas uniquement sur de grands investissements « verts » et des politiques de régulation via une fiscalité écologique ou des normes de pollution. Elle doit aussi s’appuyer sur une multitude d’initiatives locales qui dépendent de l’esprit de citoyenneté, de l’inventivité de chacun, et surtout d’un tissu social dense et solidaire maillé sur des territoires et des ressources qui ne sont pas celles de l’économie dominante. 

Effectivement, pour pouvoir produire, se déplacer ou se chauffer en polluant moins, des investissements importants sont nécessaires. Pour cela, les pouvoirs publics peuvent soit investir directement, notamment dans les transports collectifs, l’aménagement de la ville, l’isolation de bâtiments publics… soit mettre en place des subventions pour encourager l’investissement privé via des crédits d’impôt pour l’isolation des logements ou les énergies renouvelables, l’achat de l’énergie produite par le renouvelable à un prix supérieur au prix du marché, ou des subventions directes…. L’accès à l’emprunt à des taux faibles ou nuls doit être possible pour les projets écologiques, via la Banque Publique d’Investissements, la Banque Européenne d’Investissement, mais aussi via des banques éthiques comme la Nef, voire en finançant des investissements directement par création monétaire.

En plus d’investir, il convient aussi de réguler pour décourager les comportements polluants. Cela passe par l’application de normes de production, ainsi que par la mise en œuvre d’une fiscalité écologique comme la taxe sur les émissions de GES, dite taxe carbone. Celle-ci pourrait d’ailleurs permettre de réduire, voire d’abandonner la production de certains biens ou services pas vraiment indispensables si leur coût écologique, devenu économique du fait de la taxe carbone, se révèle trop élevé. Ainsi, il est vraisemblable que la production des voitures les plus polluantes diminuerait. Le marché même de l’automobile pourrait se rétracter si l’on ne parvient plus à diminuer le taux de pollution des nouveaux modèles, et si chaque ménage est déjà équipé ou parvient à trouver des alternatives à la voiture individuelle. De même pour la micro-informatique, l’électroménager, les téléphones portables… en mettant fin à l’obsolescence programmée.

Les investissements et les régulations écologiques (normes et fiscalité) passent pour être les principaux piliers d’une politique de transition écologique, mais à eux seuls, ils ne suffiront pas pour réaliser les transformations dans les modes de production et de consommation. Pour véritablement permettre aux citoyens de répondre à tous les enjeux locaux de la transition écologique, il faut aussi mettre en place des politiques d’autonomie. C’est pourquoi nous appelons donc à la mise en place d’un revenu de base inconditionnel, individuel, inaliénable, de la naissance à la mort et cumulable avec tout autre revenu du travail, du patrimoine ou de remplacement.

Ce revenu de base – aussi appelé allocation universelle ou revenu social garanti – est cet outil d’émancipation qui permettra à des citoyens pionniers de développer les innovations sociales qui pérenniseront la transition écologique : micro-entreprises, associations d’éducation populaire, jardins partagés, coopératives de production, initiatives citoyennes formelles ou non… Loin d’être un outil pour cesser de travailler, le revenu de base est l’outil qui donne aux citoyens les moyens de développer collaborativement les modes de production, de consommation, d’échange, de partage, de coordination… qui satisferont de nombreux besoins matériels et sociaux avec une consommation matérielle et énergétique réduite. Comme le dit Anna Bureau, « s’ils avaient le choix, les paysans qui aiment leur métier se tourneraient probablement vers une agriculture biologique telle qu’elle a été pratiquée depuis des millénaires, avant qu’on ne leur explique qu’ils doivent acheter des graines hybrides puis les asperger de produits phytosanitaires2 ». Un revenu de base serait justement cet outil qui leur donne le choix.

Le revenu de base pour contrer l’argumentaire des multinationales sur l’écologie

Le revenu de base permet par ailleurs de dépasser la fausse opposition entre écologie et économie, instrumentalisée notamment par les entreprises les plus polluantes qui nous ressassent toujours les deux mêmes arguments pour s’opposer à toute régulation écologique : la réglementation écologique détruirait l’emploi, et les normes et la fiscalité écologiques réduiraient le pouvoir d’achat.

Le revenu de base face à l’argument de l’emploi

Certes, la transition écologique devrait conduire à la diminution de la consommation et donc de la production de certains biens matériels pour lesquels les coûts de production seront devenus trop importants du fait de la réglementation écologique. Cela peut aboutir à la fermeture de certaines usines, et donc à la disparition de certains emplois dans les secteurs les plus polluants.

Parallèlement à cela, c’est surtout le processus continu d’automatisation et de numérisation qui détruit l’emploi et pourrait conduire à la disparition de pas moins de 47% des emplois actuels d’ici 20 ans3. Cette puissante vague d’automatisation devrait conduire à une explosion du chômage et des inégalités au profit d’une minorité d’individus récoltant l’essentiel de la rente associée à ce processus d’automatisation que sont les propriétaires des entreprises gagnantes de l’automatisation, quelques travailleurs occupant des postes spécifiques dans le commerce, la publicité, la finance, le design, l’informatique, ou quelques stars du monde du sport et du spectacle…

L’explosion du chômage, liée à ces deux phénomènes concomittants, risque d’accroître l’audibilité des discours anti-régulation écologique au nom de la défense de certains emplois. On en vient à cette contradiction fondamentale de l’économie moderne : certaines productions, qui devraient être suspendues du fait de leurs conséquences écologiques, sont maintenues par l’intervention publique au nom de la lutte contre le chômage. Ajoutons que ces productions n’améliorent même plus forcément le bien-être d’une population déjà largement suréquipée. Elles ne font qu’entretenir une logique de course à la consommation qui ne rend pas les gens plus heureux.

Toujours est-il que la transition écologique n’est certainement pas l’ennemie de l’emploi. Les investissements de la transition écologique pourraient d’ailleurs conduire à en créer environ 240 000 selon une étude faite en 2013 par le CIRED. Les multiples innovations sociales issues de la société des travailleurs autonomes peuvent, elles aussi, être vectrices d’activités nouvelles et créatrices de richesses : parfois de richesses non monétisées, parfois de richesses qui reposent sur la création d’entreprises et d’emplois.

Le revenu de base, en favorisant l’emploi choisi, permet de dépasser cette contradiction factice entre l’écologie et le social. Il permet à chacun de choisir son travail, notamment pour le mettre en adéquation avec ses valeurs sociales ou environnementales4. Ce travail peut éventuellement se transformer en emploi, c’est-à-dire en travail rémunéré, et ce serait une erreur d’opposer revenu de base et emploi, surtout s’il s’agit de l’emploi choisi et non subi, d’un emploi qui est facteur d’émancipation personnelle et collective.

Car ce que permet le revenu de base, c’est de retirer à certaines entreprises prédatrices le monopole sur le sens de ce qu’est un travail intégrateur et rémunérateur. Ce faisant, le revenu de base permet de sortir de la logique suivant laquelle tout emploi proposé doit être protégé parce qu’il procurerait un revenu et une utilité sociale au travailleur, même si cet emploi pollue ou participe d’une logique qui entretient une course à la consommation aux effets sociaux néfastes.

Le revenu de base permet à chacun de s’émanciper de la logique perverse suivant laquelle la question du travail est abordée sous l’angle très réducteur de l’emploi marchand. Il peut permettre aux élus politiques de faire sereinement le choix d’une réglementation environnementale réellement contraignante sans être désavoués électoralement par l’argument des effets potentiellement néfastes sur l’emploi, argument inconsistant sur le plan des valeurs.

Le revenu de base face à l’argument du pouvoir d’achat

Pour appuyer leur discours anti-régulations écologiques, certaines entreprises vont aussi arguer que ces réglementations augmenteraient le coût de la vie. Effectivement, la fiscalité écologique augmente le prix à la consommation des biens dont la production est la plus polluante, ainsi que le coût des transports polluants. C’est justement l’objectif : il s’agit de faire monter le coût des consommations et des comportements les plus polluants pour encourager les individus à en adopter des nouveaux qui le sont moins (prendre les transports en commun, consommer bio et local, chercher un emploi plus proche de chez soi…). Ajoutons que la fiscalité écologique ne réduit pas le pouvoir d’achat moyen quand on la complète par un revenu de base, au financement duquel elle peut contribuer. Elle réduit d’un côté le pouvoir d’achat en biens dont la production ou la consommation est polluante, mais accroît le pouvoir d’achat en biens et services dont la production et la consommation a un impact plus faible sur l’environnement.

Par ailleurs, le revenu de base permet également de compenser l’effet anti-redistributif de la fiscalité écologique. Certes, celle-ci accroît le coût des carburants et de certains biens polluants à produire. Mais sa redistribution sous la forme d’un revenu de base (ou d’un chèque vert comme le prévoyait la loi de 2009) permet aux individus de se procurer d’autres biens et services de substitution moins polluants : consommer un bien alimentaire produit à proximité suivant les principes d’une agriculture raisonnée, choisir un loisir moins polluant, préférer réparer ses meubles et son électro-ménager plutôt que de les remplacer, etc.

Enfin, le revenu de base pourrait encourager un plus grand nombre de travailleurs à s’installer (ou à rester) dans les petites villes et les territoires que la concentration productive marginalise toujours plus. Ce faisant, ces derniers contribueraient à la redynamisation de l’activité économique locale, ne serait-ce qu’en dépensant chez les producteurs locaux leur revenu de base. Ils développeraient également dans ces territoires les nouvelles modalités de production et de consommation qui contribueraient à la transition écologique, comme le font par exemple les SELs, qui se basent sur la réciprocité en s’inscrivant dans le même esprit que le revenu de base, dans le sens où ils reposent sur une vision anti-productiviste du travail et sur un principe d’égalité des individus, ce qui fait prévaloir la valeur humaine sur la valeur marchande.

Avec un revenu de base versé en partie en monnaie locale complémentaire, ce nouveau maillage de proximité de petits acteurs locaux pourrait se renforcer progressivement jusqu’à ce que ces acteurs reconstituent à nouveau des capacités d’épargne durable, facteur d’investissements locaux. L’acceptation par la commune d’une partie des taxes locales en monnaie locale permettrait en outre de constituer des fonds d’investissement pour financer la transition. 

Bien entendu, il faut financer ce revenu de base, et pour cela, les pistes sont multiples. Immédiatement, de façon simple et efficace, nous pourrions rendre le versement du RSA automatique. Très vite, nous pourrions l’étendre à tous les citoyens pour obtenir un véritable revenu de base. Pour compléter le financement ou augmenter le montant, les propositions sont nombreuses. Aucune ne fait consensus autour d’elle. Un travail de fond est en cours, auquel le MFRB entend continuer de contribuer dans les mois à venir.

Voici quelques pistes de réflexion. Il faudra d’abord une réelle fiscalité écologique, dont les recettes peuvent contribuer – modestement – au financement du revenu de base. Il faudra aussi imposer les gagnants du processus de numérisation des emplois, telles les multinationales du web (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft…) et leurs propriétaires, ainsi que les quelques salariés dont les revenus explosent avec la numérisation. L’imposition de ces revenus ne peut se faire que par une coordination des systèmes fiscaux, tout comme pour la taxe carbone, faute de quoi chaque pays cherchera à attirer sur son territoire les investisseurs, en essayant d’imposer un peu moins la pollution ou les bénéfices que les autres pays. À ce titre, l’engagement récent de soixante-deux pays à mieux coopérer au niveau fiscal constitue un progrès qui pourrait rapporter jusqu’à 240 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires au niveau mondial.

Il faudra aussi mieux imposer le patrimoine, à commencer par l’immobilier, suivant la logique déjà avancée par Thomas Paine pour justifier un revenu de base dans son traité sur la Justice Agraire en 1795, mais aussi pour contrer l’effet multiplicateur et cumulatif des inégalités de patrimoine sur les inégalités de revenu mis en avant par Thomas Piketty. On pourra aussi compléter ce financement par une taxe Tobin et par de la création monétaire. Enfin, une partie de ce revenu de base pourrait aussi être versée en Monnaie Citoyenne Locale, tel que souhaite l’expérimenter le projet Tera. Il existe encore de nombreuses autres modalités qui mériteraient d’être étudiées.

Pour réussir, la transition écologique doit s’appuyer sur de multiples initiatives et innovations économiques et sociales qui concourront à améliorer la qualité de vie et la cohésion sociale tout en réduisant l’empreinte écologique. Ces initiatives ne peuvent être portées que par des citoyens entrepreneurs libérés de la contrainte de survie. C’est ce qu’apporte à tous le revenu de base. Plutôt que de laisser les rênes aux seules grandes entreprises multinationales, dont les finalités resteront toujours d’étendre plus loin la logique de bénéfices et surconsommation, le revenu de base permettra aux décideurs politiques de sortir de cette logique erronée qui oppose sans cesse l’écologie, l’économie et le social.

Le débat reste ouvert, rendez-vous dans un premier temps au Village Mondial des alternatives pendant la COP 21 pour continuer à parler de tout cela, et comme le dit Alternatiba, changeons le système, pas le climat ! Instaurons un Revenu de base !


[1] Voir Christian Arnsperger, L’homme économique et le sens de la vie : petit traité d’alter-économie, Paris, 2011, https://lectures.revues.org/7072
[2] Elle ajoute : “Ce qui était gratuit est devenu payant. Et ceux dont ce n’est pas la vocation parce qu’ils ont, par exemple hérité des terres de leurs parents, revendraient leurs terres à des jeunes qui n’ont rien à cultiver, et se réaliseraient ailleurs.”
[3] 
Voir aussi le rapport du cabinet Roland Berger (2014) : http://www.rolandberger.fr/media/pdf/Roland_Berger_TAB_Transformation_Digitale-20141030.pdf
[4] Cette réglementation environnementale devra être mise en oeuvre en coordination avec les autres pays pour éviter que ces derniers en profitent pour récupérer les entreprises qui chercheraient à fuir ces réglementations. Il s’agit que les pays mettent en oeuvre les mêmes réglementations et une fiscalité écologique dont les taux sont comparables, l’idéal étant – pour l’Europe par exemple – de mettre en place une taxe carbone unique sur toute la zone, ce qui irait d’ailleurs dans le sens d’une meilleure solidarité budgétaire et fiscale.


Article collaboratif rédigé par Léa Carlat, Virginie Caura, Frédéric Bosqué, Robert Cauneau, Jean-Eric Hyafil, Mickaël Laclé, Pierrick Le Feuvre et Amaru Mbape.