Si l’on a toutes les raisons de vouloir un revenu de base d’un montant suffisant pour vivre, il semblerait peu prudent pour une femme ou un homme politique de promettre qu’elle ou il mettra un tel revenu de base en place, du moins à court terme. Promettre un revenu de base autour de 500 € avec maintien des aides au logement est bien plus prudent.

Une question que l’on pose très vite aux défenseurs du revenu de base est : « quel serait son montant ? ». La réponse à cette question n’est pas si aisée. Elle dépend d’abord de notre vision du revenu de base, du projet de société que l’on défend, de la proposition de financement que l’on propose et des prestations sociales que l’on aimerait remplacer par le revenu de base. Mais notre réponse doit dépendre aussi de contraintes politiques et économiques qu’il ne faut pas négliger.

Le discours sur le montant du revenu de base dépend certes du projet politique que l’on défend. Sans entrer tout de suite dans la question des contraintes de financement, on peut identifier quatres postures types. La première posture consiste à défendre comme horizon un revenu de base du même montant que l’actuel RSA. La deuxième posture consiste à demander la mise en oeuvre immédiate d’un revenu de base d’un montant plus élevé — disons 800 € — afin de donner la possibilité de faire un travail non-marchand sans en attendre de rémunération et de permettre une émancipation plus importante des individus. La troisième posture, plus pragmatique, consiste à demander un revenu de base au moins du montant du RSA comme première étape, dans l’objectif de militer à terme pour l’augmentation de son montant. Enfin, une quatrième posture, plus ambiguë, consiste à afficher un revenu de base élevé tout en omettant de préciser que l’on en profiterait pour supprimer de nombreuses prestations sociales : les aides au logement, les allocations chômages, voire même certaines dépenses d’assurance maladie ou encore certains services publics comme les subventions aux crèches !

Pour éviter que la question du montant ne soit qu’un affichage, un emballage séduisant, voire une publicité mensongère, il faut rentrer dans la question de la contrainte de financement, et expliquer comment on procède pour financer le montant affiché.

Financer un revenu de base au niveau de l’actuel RSA est faisable, mais n’est pas non plus une tâche si aisée. Il est possible de financer ce revenu de base en prélevant l’impôt sur le revenu dès le premier euro gagné à un taux compris entre 23 % et 35 %, soit avec une réforme immédiate, soit en procédant par étape. Cette proposition a certes des effets redistributifs d’ampleur modeste, mais pas si modérés que cela : suivant les paramètres choisis, elle pourrait conduire à des transferts nets (solde entre la hausse des prestations et la hausse des impôts) de 15 à 50 milliards d’euros vers les ménages modestes, autant de milliards qu’il faudra prélever ailleurs. Rappelons que dans cette proposition, les aides au logement sont maintenues, si bien qu’un célibataire sans enfant peut toucher jusqu’à 750 € de prestations. Quant aux couples modestes, ils en sont les grands gagnants puisqu’ils touchent deux revenus de base, alors que l’actuel RSA pour un couple équivaut à 1,5 fois le RSA pour un célibataire (soit environ 200 € de moins que deux RSA).

Financer un revenu de base à 800 € est possible mais demanderait de trouver environ 180 milliards supplémentaires. La suppression des aides au logement, absorbées par le revenu de base, ne représenterait qu’une économie de 16 milliards (25 milliards en ajoutant certaines aides aux propriétaires) ne représente qu’une goutte d’eau dans ce budget. Remarquons qu’un revenu de base à 800 € représente une très forte hausse de revenu pour les couples sans revenu puisqu’ils cumulent deux revenus de base et que les aides au logement actuelles pour les couples sont à peine plus élevées (50 €) que pour un célibataire. En revanche, pour un célibataire ou une famille monoparentale qui profite aujourd’hui des aides au logement, le gain en revenu est marginal — voire nul avec un revenu de base à 750 €.

Pour trouver les quelques 180 milliards nécessaires pour financer une revenu de base à 800 €, plusieurs pistes sont envisageables, mais toutes butent sur des contraintes avant tout politiques. On peut augmenter l’impôt sur le revenu comme le propose Baptiste Mylondo (la CSG étant un impôt sur le revenu). Mais une telle hausse ferait de très nombreux perdants parmi les plus aisés mais aussi parmi les classes moyennes supérieures, et celles-ci risquent de se mobiliser politiquement pour l’empêcher.

Il faudrait mieux taxer les bénéfices des multinationales, qui sont aujourd’hui les championnes de l’optimisation fiscale en déclarant leurs bénéfices dans les paradis fiscaux et parviennent à tirer vers le bas l’impôt sur les bénéfices appliqué par les pays en les mettant en concurrence pour installer leurs filiales. Il est difficile de savoir combien une meilleure coordination entre les pays sur leur impôt sur les bénéfices pourrait apporter : 100 à 240 milliards à l’échelle du monde selon un rapport de l’OCDE, soit assez peu finalement pour la France. Mais sans doute plus si les pays développés parvenaient à se mettre d’accord pour harmoniser à la hausse leur impôt sur les sociétés plutôt que de s’aligner sur le moins-disant fiscal. Quoi qu’il en soit, sachant que les progrès que l’on peut attendre sur l’impôt sur les bénéfices sont tributaires du succès de la coordination internationale en la matière, il semble très imprudent de compter sur ces sources de financement pour obtenir un revenu de base à 800 € à court terme.

On pourrait aussi mieux taxer le patrimoine, comme le propose Thomas Piketty. Augmenter la fiscalité sur le patrimoine est fortement désirable, mais souffre du fait que les ménages aisés savent aujourd’hui contourner cette fiscalité par toute formes d’évasion ou de dissimulation. En outre, à moins de renverser le rapport de force politique avec les ménages aisés, il est vraisemblable que ces derniers n’accepteront une hausse de la fiscalité sur le patrimoine qu’en échange d’une hausse plus modérée de l’impôt sur le revenu que proposée plus haut, et donc un maintien du montant du revenu de base. On pourrait aussi compter sur d’autres ressources comme la taxe Tobin ou la création monétaire. Mais ces propositions — qui demanderont du temps pour être mise en oeuvre de façon efficace en Europe — ne permettront de financer un revenu de base élevé.

Enfin la dernière solution, assumée par certains et dissimulée par d’autres, consiste comme vu précédemment à promettre un revenu de base élevé en l’échange de la dilapidation de certaines prestations contributives (chômage et retraite), de la déconstruction de l’Assurance maladie, voire de la dilapidation du service public. Le MFRB rejette dans sa charte les propositions qui iraient dans ce sens.

Faut-il donc promettre un revenu de base d’un montant élevé ? La promesse semble séduisante à première vue, mais bien trop imprudente pour être assumée jusqu’au bout tant que l’on n’est pas sûr de parvenir à dégager les recettes fiscales — ou monétaires — pour le financer. Tout comme la promesse en 2012 du candidat Hollande d’une imposition à 75 % sur les revenus au-delà de 1 million d’euros n’a pas été appliquée en fin de mandat, la promesse d’un revenu de base à 800 € aurait de très fortes chances de rester aussi lettre morte. On pourrait même y voir une annonce suspecte, si c’est un moyen de dissimuler des projets de dilapidation de la Protection Sociale ou du service public.
Si l’on veut être crédible politiquement, et ne pas être suspecté de vouloir dilapider la protection sociale, il me semble donc préférable de promettre à court terme un revenu de base au niveau de l’actuel RSA ou un peu plus élevé — ce qui serait déjà un progrès considérable. À plus long terme, il faudra attendre d’être certain de pouvoir dégager des ressources financières supplémentaires avant de promettre un montant supérieur. Remarquons d’ailleurs que le revenu de base élevé n’est pas la seule solution — et même pas forcément la meilleure — pour favoriser une réduction du temps de travail rémunéré.