Le 15 septembre dernier avait lieu une audition au Sénat, organisée par la mission d’information sénatoriale sur le revenu de base. Ont été auditionnées quatre associations de lutte contre l’exclusion : le Secours populaire français, ATD Quart Monde, l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA) et le Secours catholique. Celles-ci se sont montrées extrêmement sceptiques sur la question du revenu de base. J’ai voulu leur répondre.

Ces associations travaillent au quotidien avec les populations les plus précaires de la société française. Comme le MFRB, ATD Quart Monde estime qu’il est nécessaire de simplifier le processus d’octroi des minima sociaux, afin notamment de mettre fin au non-recours. Pourtant, elles sont sceptiques quant à la capacité du revenu de base ─ universel, inconditionnel et individuel ─ à améliorer la situation des individus les plus pauvres.

Le Secours catholique a rappelé que pour sortir du travail précaire, c’est de formation que l’on a besoin. Il craint aussi qu’avec un revenu de base, les plus pauvres « s’affranchissent moralement du devoir de travailler [1]) », et rappelle que « notre rôle dans la société passe par le travail ».

Pour répondre, il est important de distinguer la pauvreté de l’exclusion : si la pauvreté désigne « l’état d’une personne qui manque de ressources, de moyens matériels pour mener une vie décente » [2], je définis l’exclusion sociale comme la situation dans laquelle une personne rencontre d’importantes difficultés à s’insérer dans la vie citoyenne et sociale en général, et dans le monde du travail en particulier, du fait de difficultés individuelles : manque de formation, manque de mobilité, handicap, vécu de discriminations, freins psychologiques, etc.

L’exclusion sociale va souvent de pair avec la pauvreté, et la pauvreté peut accélérer un processus d’exclusion sociale. Mais si le revenu de base permet de pallier l’absence de ressources matérielles des personnes en situation de pauvreté, il ne peut en revanche contribuer seul à sortir ces personnes de l’exclusion.

Le revenu de base n’est pas conçu comme un outil de lutte contre l’exclusion

Effectivement, les personnes en situation d’exclusion ont d’abord besoin de trouver un emploi pour s’intégrer pleinement dans notre société. Ces personnes cumulent des handicaps que le revenu de base ne résoudra pas : manque de formation, discriminations, réseau social amoindri et parfois même une perte de confiance en soi et l’abandon de toute recherche d’emploi (décrochage social). Les associations caritatives, qui luttent d’abord contre l’exclusion sociale, en ont bien conscience.

Même si le revenu de base permet de lutter contre la pauvreté, il n’est pas conçu comme un outil de lutte contre l’exclusion sociale. Le revenu de base, c’est avant tout un outil qui permet à l’ensemble des individus ─ pauvres ou non ─ d’avoir plus de choix et de liberté dans leur travail et dans leur vie. Dans un contexte où se multiplient les emplois vides de sens et où la numérisation supprime de nombreux emplois existants, donner au travailleur un pouvoir de choix accru dans son travail devient une urgence.

Bien entendu, tout le monde ne pourra pas tirer le même avantage de cette liberté supplémentaire procurée par le revenu de base. Comme le rappelle le représentant du Secours catholique : « quelle liberté pour les décrocheurs dans les quartiers stigmatisés ? ».

En réalité, même pour les personnes exclues, le revenu de base leur apporterait un supplément de liberté, mais il ne se suffit pas à lui-même. C’est donc une erreur de demander aux associations de lutte contre la pauvreté si le revenu de base répondrait aux besoins des personnes en situation d’exclusion. Celles-ci savent que ce qui permet d’affronter la stigmatisation ou le risque de décrochage social, c’est d’abord l’accompagnement social, la formation professionnelle, des expériences de travail rémunéré d’une durée suffisante pour se réinsérer, etc.

L’incitation est efficace, le contrôle est contre-productif

Pour autant, cela ne signifie pas qu’il faille abandonner l’idée d’un revenu de base inconditionnel, bien au contraire. D’abord parce qu’il ne faut pas oublier tous les autres individus de notre société, ceux qui ne sont pas en situation d’exclusion mais qui gagneraient avec le revenu de base un réel supplément d’autonomie, leur permettant éventuellement de choisir un travail qui a plus de sens pour eux, ou de réduire leur temps de travail.

Il faut donc un revenu de base inconditionnel, sans aucune forme de contrepartie ni de contrôle. Penser que c’est le contrôle qui motive les individus à vouloir travailler est une erreur. La très grande majorité des individus souhaite travailler, ne serait-ce que pour se sentir socialement intégré. Cette reconnaissance sociale du travail est d’ailleurs unanimement reconnue par ces associations. Rappelons qu’une enquête réalisée auprès de bénéficiaires du RMI en 1998 ─ à une époque où le RSA n’avait pas encore remplacé le RMI ─ a démontré que plus du tiers d’entre eux avaient trouvé un emploi et quitté le RMI sans en avoir tiré de gain monétaire, voire même en subissant des pertes de revenu.

Le revenu est également une motivation au travail ─ même si le travail bénévole existe aussi. Et à ce titre, il faut remarquer qu’avec un revenu de base, l’incitation monétaire à travailler est accrue puisque l’individu sait que lorsqu’il reprend un emploi, il conserve l’intégralité de son revenu de base (suppression de la « trappe à inactivité »). Choisir l’inconditionnalité du revenu de base, c’est admettre que l’incitation économique est plus efficace que le contrôle.

Le contrôle est d’ailleurs contre-productif. Mettre en oeuvre un contrôle ou une contrepartie contre le versement d’un revenu, c’est prendre le risque qu’une partie de la population y voie une allocation stigmatisante associée à une situation de pauvreté, et donc de refuser de bénéficier de ce revenu pour ne pas avoir à rendre des comptes. Cela explique en partie l’important non recours des actuels minima sociaux (⅓ pour le RSA socle et ⅔ pour le RSA activité en 2010). En plus d’être administrativement coûteux, le contrôle créé la fraude. Manne sur laquelle jouent de nombreux politiques, augmentant ainsi les stigmatisations, les sentiments d’injustices, le détournement des problèmes autrement plus importants.

Un accompagnement renforcé pour les plus exclus

Quant au public des associations caritatives, qui cumule manque de formation et expérience de discrimination, ce n’est pas d’un contrôle accru dont il a besoin, mais plutôt d’un accompagnement renforcé.

Justement, pour ces personnes en situation d’exclusion sociale, l’inconditionnalité du revenu de base apporte de nombreux avantages. Tout d’abord, un revenu de base permettrait de leur garantir un revenu certain et de mettre fin au non-recours. De plus, la simplification administrative qui serait engendrée leur laisserait plus de temps pour recevoir un véritable accompagnement, plutôt que d’effectuer des démarches longues pour obtenir leur RSA. Un revenu de base permettrait même de concentrer l’accompagnement social sur les personnes qui sont en réelle difficulté d’intégration, et qui ne représentent qu’une partie des allocataires des minima sociaux actuels.

Il peut d’ailleurs améliorer la qualité de l’accompagnement social en posant les conditions pour que se construise un rapport de confiance entre les personnes en insertion et les travailleur sociaux. En effet, lorsque les premières sont convoquées par le travailleur social en charge de leur suivi, elles courent le risque se voir retirer arbitrairement leur RSA et éventuellement avoir à mentir, et exagérer leurs démarches de recherche d’emploi, pour le conserver. Il en découle une relation forcément ambiguë entre la personne en insertion et le travailleur social, une relation qui ne repose pas forcément sur la confiance.

Au contraire, avec un revenu de base inconditionnel, la personne en insertion sait que le travailleur social qui l’accompagne ne pourra pas lui retirer son allocation. En découlera une relation d’accompagnement basée sur la confiance : l’individu ira rencontrer un travailleur social ou une association d’insertion non pas pour éviter de se faire couper son allocation, mais parce qu’il sera motivé pour s’intégrer professionnellement. Ou à l’inverse, un accompagnateur social ira à la rencontre des plus exclus non pas pour contrôler qu’ils font des efforts de recherche d’emploi, mais uniquement pour leur apporter un accompagnement et un soutien humain.

C’est la raison pour laquelle nous demandons la mise en œuvre d’un revenu de base inconditionnel, sans aucune exigence de contrepartie, avec la conviction que cette proposition ne désincitera pas les individus au travail et qu’elle permettra d’améliorer l’accompagnement des personnes en situation d’exclusion. Le meilleur moyen de le vérifier serait justement d’expérimenter un revenu de base, un revenu réellement inconditionnel, comme le proposent l’ANSA et le MFRB.

Jean-Éric Hyafil



[1]
http://videos.senat.fr/video/videos/2016/video36028.html


[2] Trésor de la langue française.

Illustration : CC-BY Stewart Black.