Cette contribution est une réponse à M. Gallois qui dans une interview au journal Libération étrille l’idée du revenu universel.

« Le revenu universel de base monte dans le débat public. Y êtes-vous favorable ? »

« Je suis favorable au rapport Sirugue, qui propose d’arriver progressivement à un seul minimum social – contre une dizaine actuellement – avec des modulations en fonction des possibilités d’insertion des bénéficiaires ou au contraire des handicaps. Mais je suis contre un revenu universel versé à tous. Outre qu’il faudrait faire admettre à l’opinion publique que des gens puissent bénéficier de ce revenu alors qu’ils n’en ont pas besoin, je suis très réservé sur la perte du lien entre la rémunération et le travail. Enfin, un tel dispositif coûterait, en net, entre 200 et 500 milliards d’euros. Comment le financer ? Par les impôts ? Ça fait un sacré paquet… Certains libéraux proposent de supprimer les autres prestations sociales, pourquoi pas l’assurance maladie ? Ce serait le retour au XIXe siècle ! »

Tout est dit, il n’y aurait rien à attendre de ce concept à la mode qu’est le revenu universel d’existence. Encore une fois il me faut venir à la rescousse de cette idée dont l’heure est pourtant bien venue devant la montée de la précarité, du chômage, des inégalités et la crise que traverse le salariat.

« IL FAUDRAIT FAIRE ADMETTRE A L’OPINION PUBLIQUE QUE DES GENS PUISSENT BÉNÉFICIER DE CE REVENU ALORS QUILS N’EN N’ONT PAS BESOIN. »

C’est ne rien comprendre à l’essence même de ce revenu d’existence ni au principe de son financement.

Il s’agit bien d’un revenu attaché à la personne humaine, à son existence, de la naissance à la mort, individuellement et inconditionnellement, indépendamment de toute contingence. Il s’agit de « démonétiser » l’existence même, de la désaliéner. C’est tout simplement l’extension de la couverture sociale qu’assure déjà l’assurance maladie, la retraite par répartition, les allocations familiales et l’assurance chômage. Lorsqu’ on entre à l’hôpital pour un problème de santé on laisse à la porte son statut social , que l’on soit pauvre ou riche, on y entre en tant que personne humaine qui a besoin de soins. Messieurs « les décideurs » cessez de voir ce qui nous divise : nos revenus et notre patrimoine, pour souligner ce qui nous unit : notre condition d’être humain, notre condition de citoyen de la maison commune qu’est la République. Pour pouvoir s’épanouir et s’émanciper, chacun d’entre nous a besoin, tout au long de sa vie, d’avoir accès aux soins, d’être instruit et de pouvoir se nourrir et se loger correctement inconditionnellement. Il s’agit des droits élémentaires et universels à une existence digne.

Ensuite chacun, dans un deuxième temps seulement, en fonction de sa personnalité, de ses compétences, par son activité, sa créativité, produira de la richesse dont une partie sera alors consacrée à financer ce revenu d’existence. Comme pour la Sécurité Sociale, chacun contribuera selon ses moyens pour assurer à tous ce minimum vital. Il y en aura dont la contribution sera bien supérieure à ce revenu de base et il y en aura d’autres qui n’auront pas les moyens de contribuer mais, contrairement à aujourd’hui, il ne sera pas nécessaire de prouver que l’on est sans ressources pour avoir droit à une aide. Chaque début de mois il sera alloué individuellement et inconditionnellement ce minimum pour vivre, comme « l’avance sur recette » que donne l’éditeur à l’écrivain pour que celui-ci puisse créer dans la sérénité, et, chaque fin de mois, chacun contribuera au financement de ce revenu de base, en fonction de ses revenus d’activité ou de patrimoine.

« ENFIN , UN TEL DISPOSITIF COUTERAIT, EN NET, ENTRE 200 ET 500 MILLIARDS D’EUROS. COMMENT LE FINANCER ? PAR LES IMPÔTS ? ÇA FAIT UN SACRE PAQUET… »

Et bien non M. Gallois. Vous faites erreur. Ça ne coûtera rien au budget de l’État au contraire ça le soulagera. Aujourd’hui l’État, par les rentrées fiscales (C.S.G. : 90 milliards d’€), complète le financement de notre système social qui ne trouve plus les ressources suffisantes par la cotisation sur les salaires pour assurer ses missions. Il engloutit aussi une bonne partie des recettes de l’impôt sur le revenu (75 milliards €) à des aides à l’emploi :

  • par le paiement par l’État, au nom de la compétitivité des entreprises, des cotisations sociales dites patronales sur les bas salaires (Réduction Fillon qui peut atteindre 450 € pour un salaire du niveau du SMIC – C.I.C.E dont le coût s’élève à plus de 20 milliards par an),
  • par la réduction du taux de TVA à 10% pour les restaurateurs ou le bâtiment au nom d’un « soutien à l’économie »,
  • par diverses subventions pour tenter à tout prix de réanimer le marché de l’emploi.

Ainsi en substituant d’une part l’impôt sur le revenu, complexe, perclus d’exemptions, payé par de moins en moins de contribuables, l’impôt sur la fortune aujourd’hui confidentiel (moins de 5 milliards €) et d’autre part la C.S.G. par une contribution universelle dès le premier euro sur les revenus d’activité et sur le patrimoine, il est possible de financer un revenu de base qui à la fois permettrait de sortir immédiatement les 8 millions de pauvres de la précarité et, par le partage des emplois et par la création d’activité qu’induirait ce revenu universel , de lutter efficacement contre le chômage, dispensant l’État de toutes les dépenses citées précédemment et dispensant aussi du même coup les gouvernements successifs et les assemblées représentatives de débats sans fin sur le montant de l’impôt ou des aides à allouer aux uns et aux autres.

Ensemble nous sommes riches par nos revenus (1250 milliards €) et par notre patrimoine (10 500 milliards €), ensemble, avec un minimum de solidarité, nous pouvons mettre dans un pot commun de quoi assurer à chacun l’essentiel. Il est absurde et de mauvaise foi de multiplier 66 millions d’habitants par 12 mois et par le montant du revenu de base pour en faire une dépense gigantesque que le budget de l’État ne pourrait pas assumer comme vous le répéter tous à l’envi (Quand serait-il en Chine avec ses 1,37 milliards d’habitants ?). Le coût, si coût il y a, est individuel. Comme chacun reçoit et chacun contribue en fonction de ses moyens, il en coûterait seulement un peu plus de solidarité partagée tout en apportant au corps social plus de cohésion et moins de stigmatisation. Par rapport à la situation actuelle (avec l’IRPP, l’ISF et la CSG) l’effort ne serait pas plus important pour plus de 95 % de la population mais l’investissement de la minorité la plus aisée dans ce projet commun serait aussi la source d’une richesse dont on ne mesure pas aujourd’hui l’ampleur.

(Lire ca-changerait-quoi-pour-vous-un-revenu-de-base-universel-inconditionnel-tout-au-long-de-la-vie-un-essai-de-simulation)

« CERTAINS LIBÉRAUX PROPOSENT DE SUPPRIMER LES AUTRES PRESTATIONS SOCIALES, POURQUOI PAS L’ASSURANCE MALADIE ? CE SERAIT LE RETOUR AU XIXe SIECLE ! »

Comme on vient de le démontrer le financement de ce revenu d’existence ne se fait pas aux dépens d’autres services sociaux ; il se substitue simplement à l’État qui n’a plus à jouer le rôle d’ambulancier sur un champ de bataille. Le corps social agressé par le système économique trouve en son sein par cette redistribution interne, les anticorps nécessaires pour se défendre et éviter ainsi de tomber dans la dépendance. Notre système social, financé par la cotisation, doit continuer à assurer des soins gratuits, une retraite décente et une assurance contre le chômage, en revanche il serait dispensé, avec le revenu de base, de l’ensemble de l’aide aux familles et de lutte contre la précarité qui représente 16,6 % du budget de la Sécurité Sociale (79 milliards sur les 475 milliards € du budget global de la sécurité sociale).

Par l’éradication de la misère et des souffrances qui vont avec, par les capacités nouvelles données à chacun dans le choix d’une activité choisie, par ses effets sur l’emploi, il ne fait aucun doute que l’Assurance Maladie et que Pôle Emploi seront moins sollicités et en conséquence la charge de ces services diminuera. Par sa simplicité et sa transparence tant dans l’allocation que dans la contribution, de nombreux agents publics de la C.A.F. ou du Ministère des finances pourront alors consacrer leur temps d’une part à l’accompagnement de tous ceux que le handicap, la maladie ou la marginalisation désocialise et d’autre part à l’aide à l’innovation, aux projets individuels ou collectifs plutôt qu’à des tâches de contrôles et de répression.

Oui M. Gallois le déclin industriel avec l’augmentation du chômage et de la précarité qu’il a contribué à créer est le terreau du désespoir qu’exploitent les démagogues. Ne soyons pas complices de leur succès car nous avons les clés pour sortir de cette impasse.

Le revenu universel d’existence n’est pas, comme vous l’affirmez, le retour au XIXe siècle, mais au contraire, il est une nouvelle étape vers l’émancipation et l’affranchissement de toute tutelle de l’individu. N’est ce pas plutôt cela que craignent beaucoup de puissants aujourd’hui : un peuple insoumis et indépendant de tout pouvoir, capable enfin de se gouverner par lui-même ?


Image : Un Philosophe. Article originalement publié sur le site Alternative 21.