Dans un document de travail récent[1], l’économiste en chef de la banque d’investissement Natixis Patrick Artus s’est demandé quoi penser du revenu de base. Ses conclusions ont été reprises dans plusieurs médias. Nous revenons sur cette note afin de souligner ses apports au débat ainsi que ses limites et pour pointer une incohérence au sujet du financement.

La présentation du revenu universel faite par Patrick Artus est équilibrée, reconnaissant que celui-ci assure à la fois une protection contre la pauvreté, une incitation à l’activité plus importante que le système actuel et favorise une meilleure redistribution des richesses.

Patrick Artus a bien compris que dans le système actuel d’aides aux bas revenus, composé en particulier du RSA et des APL, le taux d’imposition implicite dû à la diminution de ces aides entre 0,4 et 0,8 SMIC est de l’ordre de 75%. En pratique, ce taux qui est supérieur au taux maximal de l’impôt sur le revenu, constitue une désincitation de poids à travailler plus dans cette zone de revenus. Le passage à un revenu de base aurait pour effet de diminuer très considérablement ce taux marginal d’imposition implicite et rendrait donc le travail plus intéressant du point de vue financier.

Sur la question du financement, la position de Patrick Artus présente deux inconvénients. D’une part elle manque de cohérence, d’autre part elle est trop brutale.

A la troisième page de la note, l’auteur écrit :

« [Le revenu universel] permet de redistribuer de manière égalitaire une partie de la richesse du pays (particulièrement si le revenu universel est financé en partie par une taxe sur les patrimoines) ». 

Nous saluons cette proposition à la fois pertinente et solide sur le plan fiscal. En effet, un pourcentage d’impôts sur les actifs nets des agents économiques français rapporterait plus de 100 milliards d’euros, soit entre 20% et 33% du coût brut total de mise en place d’un revenu de base.

Pourtant, dans le plan final de financement, aucun prélèvement sur le patrimoine des agents n’est mentionné, pas plus qu’une réforme de l’impôt sur le revenu. C’est donc logiquement que les montants envisagés sont relativement limités. Il y a là une incohérence qui est d’autant plus dommageable que la conclusion de la note a déjà été reprise par plusieurs médias.

Par ailleurs, le financement proposé dans la note présente l’inconvénient de faire disparaître des pans entiers du système social actuel, ce qui n’est ni souhaitable ni populaire. Les auteurs proposent de supprimer non seulement le RSA, la prime pour l’activité et les allocations familiales, mais également les APL, les indemnités chômage, le remboursement de la plupart des dépenses de santé ainsi que la part des retraites inférieures à 700€ par mois. L’économie réalisée, d’environ 13% du PIB, ne nous paraît en aucun cas justifier une transformation aussi brutale du système de sécurité sociale.

En particulier, l’idée de raboter de 700€ les pensions de retraite en mettant en place un revenu universel d’un montant deux fois moindre, est à l’opposé de ce qui serait souhaitable. Si la diminution des prestations de retraite en parallèle de l’implémentation du revenu de base ne doit pas être taboue, il semble en revanche plus équitable de les diminuer de la moitié du montant du revenu de base, plutôt que du double !

Enfin, concernant le calibrage du montant, nous ne partageons pas la méthodologie employée par les auteurs de la note, qui consiste à diviser le montant précédent (13% du PIB, soit environ 280 milliards d’euros) par le nombre d’habitants de la France (66 millions), afin d’obtenir le chiffre de 360€ par mois par personne. C’est cette même méthodologie qui sous-tend les chiffres de 550 milliards d’euros pour une allocation mensuelle par personne de 700€ et 630 milliards pour 800€ mensuels par personne. Or, toutes les propositions abouties d’un revenu universel prennent soin de proposer un montant différent pour les adultes et les enfants, et certaines proposent un montant intermédiaire pour les adolescents.

Le chiffre de 360€ est donc une moyenne par habitant, qui peut servir de repère mais ne recouvre aucune réalité concrète. En posant une règle de proportion entre revenu de base adulte, jeune et enfant telle que suggérée par Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, les 13% du PIB calculés par Patrick Artus aboutiraient à 425€ pour les adultes, 230€ pour les jeunes de 13 à 17 ans et 170€ pour les enfants. Toujours en conservant ces proportions, des systèmes de revenu universel où les adultes toucheraient 700€ ou 800€ auraient des coûts bruts respectifs de 470 et 538 milliards d’euros, ce qui représente une différence de 15% par rapport aux montants calculés par Patrick Artus.

L’oubli des pistes de financement que sont la réforme de l’impôt sur le revenu et la réforme de l’impôt sur le patrimoine (net de préférence) sont extrêmement dommageables. Elles aboutissent à une proposition de revenu de base dont le coût net par rapport au système actuel est certes nul du point de vue des finances publiques, mais qui n’est pas souhaitable du fait de la trop grande réduction de certaines retraites et de la disparition des remboursements de santé. 

A titre de comparaison, un revenu de base de 500€ par adulte, 270€ par adolescent et 200€ par enfant aurait un coût brut de 336 milliards d’euros, auquel viendrait s’ajouter la suppression de l’impôt sur les revenus (70 milliards), soit 406 milliards au total. Il faudrait retrancher de ce montant le RSA et les allocations familiales (70 milliards), le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (20 milliards), une diminution des retraites de 250€ par pension (soit 35 milliards d’économie) et le même montant concernant les allocations chômage (6 milliards d’économie). Le montant résiduel, c’est à dire le coût net de la mesure, s’élèverait alors à 275 milliards. Sachant que le montant des revenus imposables en 2016 s’élevait à 1400 milliards d’euros, une flat tax de 20% sur tous les revenus permettrait aisément de boucler le financement[2].

Nous saluons l’apport de Patrick Artus au débat sur le revenu de base et espérons que leur prochaine tentative de financer et chiffrer une proposition saura éviter les écueils mentionnés précédemment.

Thibault Laurentjoye, co-auteur du livre du MFRB Le revenu de base : comment le financer ?


[1] Natixis, 2017, « Que penser du revenu universel ? », Flash Economie 83, 13 janvier.

[2] Il s’agit là d’une proposition simplifiée. On peut envisager des variantes incluant un impôt progressif sur le revenu, un impôt sur l’actif net, ou encore la suppression des allègements de charges dits Fillon.