Guy Valette interpelle sur son blog les candidats à l’élection présidentielle à propos de l’universalité du revenu de base.

« On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés » Albert Einstein

Nous nous réjouissons, que dans le cadre de la campagne électorale pour l’élection présidentielle, des candidats de droite comme de gauche mettent sur le devant de la scène le débat sur l’allocation d’un revenu universel. Il ne se passe pas un jour sans un article de journal, (lire l’éditorial du Monde du 16/01/17 : Revenu universel, débat utile fausse bonne idée) sans une émission à la radio ou à la télévision, sans qu’un expert ne parle de cette belle idée. Le problème est que dans tous les papiers et les interventions des uns et des autres plane un terrible doute ; ce revenu universel est-il finançable ? La calculette est sans appel : 66,9 millions x 750 x 12 = 602 milliards d’euros pour un revenu universel de 750€ par personne et par mois. C’est de l’ordre de deux fois le budget de l’État. Où trouver une telle somme dans une France endettée, où les prélèvements obligatoires sont déjà supérieurs à la moitié du P.I.B. ? Ce revenu de base ne serait qu’une belle idée à ranger dans la boite à utopie, idée que l’on sortirait de temps en temps pour faire rêver le bon peuple ; pour finir par lui dire qu’après tout notre système de solidarité et de redistribution réussit tant bien que mal à cautériser les plaies que les agressions du système économique font à l’ensemble du corps social.

Nous allons montrer combien ce calcul est biaisé et pourquoi un tel changement de paradigme – allouer inconditionnellement à tous les membres d’une communauté un revenu tout simplement par ce qu’il s’agit d’un droit universel à une existence digne – ne peut ni se superposer à la énième réforme de notre système social ni se mettre en place progressivement, une tranche pour les plus démunis, puis une tranche pour les jeunes, ensuite pour les personnes âgées, pour finir par ne pas l’étendre à tous par manque de moyens.
La mise en place d’un revenu inconditionnel et UNIVERSEL exige impérativement de comprendre qu’il s’agit d’un système de redistribution qui se substitue totalement au système de redistribution actuel qui lui n’est pas universel et qui a aussi un coût.

Le budget de tout système de redistribution dépend d’une part de l’intensité du flux du montant des prélèvements sur les plus riches transformés en allocations vers les plus démunis, effort de solidarité qui assure la cohésion de la société, et , d’autre part, du coût de fonctionnement d’un tel système en gestion et contrôles des contributeurs et des allocataires. Le revenu de base, sans modifier le coût global de la solidarité qui ne dépend que de l’intensité des inégalités dans la société et des aléas de la distribution des revenus et des patrimoines, permet par son caractère universel et son inconditionnalité de diminuer significativement les frais de gestion et de contrôle.

Les mécanismes de redistribution actuels

Le tableau ci-dessous présente de manière synthétique le bilan financier de la solidarité nationale :

Références :

Ce tableau montre que plus de 88 % des recettes qui proviennent à la fois de l’I.R.P.P. qui concerne moins de la moitié des foyers fiscaux, de l’I.S.F. payé par moins de 350 000 contribuables, et de la C.S.G. prélevée sur l’ensemble des revenus (8 %) sont consacrés à des missions de solidarité administrées par la C.A.F. ou directement par l’État. Le problème est que toutes ces aides administrées par l’État ou la C.A.F. sont conditionnées, complexes à mettre en œuvre et devant « l’épreuve du guichet » beaucoup d’ayants droit y renoncent. D’autres, par la crainte de perdre une aide, refusent une opportunité d’emploi ou exercent des activités non déclarées.

Le système, malgré l’empilement, au fil du temps, de multiples aides ciblées, ne réussit pas à éradiquer la pauvreté et la précarité. Aujourd’hui plus de 9 millions de personnes vivent encore sous le seuil de pauvreté et il y a en France plus de 6 millions de demandeurs d’emplois. Nous sommes donc autorisés à essayer de concevoir une alternative à un système qui clive la société en ayants droit et contributeurs pendant qu’ une petite minorité se défile de ses obligations grâce à l’optimisation ou l’évasion fiscale.

En ajoutant quelques recettes supplémentaires, par la suppression par exemple de la réduction de la TVA à 10 % sur la restauration, par la création d’une véritable assurance- maladie universelle, financée par la cotisation sur tous les revenus, qui se substituerait aux maquis des mutuelles qui ont un coût de fonctionnement très élevé (« Les assurances complémentaires dépensent également 6 milliards de frais de gestion pour couvrir 32 milliards de dépenses maladie (19 % !), avec une variabilité forte selon les organismes ») (lire l’article « créons une assurance maladie universelle ») et dont les cotisations sont pour les bas salaires et les petites retraites trop élevées, il est possible de substituer le système actuel financé par un l’impôt et la C.S.G. par un système universel fondé à la fois sur l ‘allocation d’un revenu inconditionnel et sur une contribution universelle sur les revenus et sur le patrimoine.

Le revenu universel : une alternative crédible

Nous avons montré qu’il était possible avec un revenu de base d’un montant de référence de l’ordre d’un demi SMIC brut, par une modulation tout au long de la vie, d’assurer à chacun un minimum vital qui permettrait d’éradiquer la pauvreté (voir : Comment rebattre les cartes pour une nouvelle donne avec le revenu universel. ) (1)

Cette mission de redistribution, qui au gré des gouvernements et sans cesse reconfigurée, remodelée, pourrait être assurée de façon pérenne par un organisme comme la Caisse des allocations Familiales (C.A.F.) renommée par exemple : Caisse d’Allocation de Solidarité Universelle (C.A.S.U.), chargée de collecter le financement et de distribuer ce revenu universel. Chacun des 28 millions d’actifs et des 15 millions de retraités contribuant de la même manière et de façon simple par une cotisation, en fonction de leur revenus et de leur patrimoine à l’allocation de ce revenu de base. Si les plus riches contribueraient davantage qu’ils ne recevraient, on montre facilement que pour l’ensemble de la classe moyenne le poids des prélèvements serait inférieur à celui actuel.

Comparaison des deux systèmes sur cinq exemples.

S1 : Redistribution par l’IRPP et la CSG et allocations diverses

En comparant les deux systèmes on montre que la redistribution avec un revenu universel est pour 4 cas sur les cinq plus efficace. Seul le dernier cas, le plus aisé, voit ses prélèvements augmenter.

S2 : Redistribution par le RB à 750 €- CRB (30 %) – TAN ( 1,5 % /an)

Ainsi chaque mois la caisse chargée de la gestion de ce revenu universel, la C.A.S.U., prélèverait sur l’ensemble des revenus du mois précédent cette « super C.S.G. » et créditerait aussi le revenu universel du mois suivant. Suivant sa situation personnelle, à la date considérée, le solde serait positif ou négatif.

Le coût global de cette nouvelle solidarité universelle dépend seulement du degré des inégalités et de la distribution des revenus et du patrimoine. En théorie il varie entre : 0 € dans le cas théorique où les revenus et les patrimoines seraient également répartis entre tous les habitants (2) et l’enveloppe globale de 600 milliards dans le cas impossible où une seule personne concentrerait tous les patrimoines (11 000 milliards d’€) et tous les revenus (1300 milliards par an) pendant que la totalité de la population serait sous la perfusion de ce revenu universel. En réalité ce coût de la solidarité, qui n’est que le prix à payer pour la cohésion de la société, serait du même ordre que le coût actuel même s’il serait un peu plus concentré sur les très hauts revenus et patrimoines.

La grande différence est que cette redistribution, par son mécanisme particulièrement simple et universel, soulage la sphère publique en frais de fonctionnement, supprime les catégorisations, les divisions et les stigmatisations. Elle assure en toute circonstance ce minimum vital qui donne à chacun liberté et autonomie. Elle donne le pouvoir d’accommoder sa relation au travail salarié, le pouvoir de dire non dans le cadre professionnel et familiale, la capacité de prendre des initiatives et d’entreprendre sans crainte. Enfin à terme les tensions, les frustrations et les pressions, que nous impose le système actuel, s’estompant, la santé s’améliorera, les addictions et la criminalité diminueront et les organismes de santé et de protection seront aussi moins sollicités.

Mais changer de paradigme avec ce revenu d’existence impose de ne pas faire l’économie d’une réforme globale de notre système de redistribution. Économie qui se révèlerait fatale pour cette belle idée dont l’heure est venue.

Avec L’ordonnance du 4 octobre 1945, est née la Sécurité Sociale. Comme le montre le film « La Sociale », en quelques mois, sous la houlette d’Ambroise Croizat, ministre du Travail, cette belle utopie qui est d’assurer à chacun un accès gratuit aux soins est ainsi devenue réalité. Aujourd’hui il est temps d’élargir sa mission en assurant à chacun ce droit inconditionnel et universel à une existence digne en toute circonstance. Mais pour ne pas mollir les responsables politiques doivent être convaincus que ce revenu universel est faisable s’il se substitue totalement au système actuel de redistribution par l’impôt, sans exiger des dépenses pharaoniques comme l’affirme une fois de plus et de manière péremptoire la conclusion de l’éditorial du journal Le Monde (3) et sans mettre la France en faillite comme le claironne sur tous les plateaux Manuel Valls.

Ainsi le revenu universel sera universel ou ne sera pas.


(1) Proposition de modulation du revenu de référence 750 €

(2) Si chaque habitant avait les mêmes revenus, le même patrimoine et possédait le même appareil de production, un revenu de base de 750 € serait totalement neutre avec les contributions indiquées.

(3) « Bref, comme l’analyse l’économiste Patrick Artus, le revenu universel n’est pas finançable à moins de diviser par deux les aides sociales. Il s’agit d’une fausse bonne idée, même s’il faut fusionner et simplifier les différentes allocations. C’est la conclusion à tirer de ce débat utile »